La data partout : changer les examens pour changer les études
Avant les vacances, il faut mesurer si on a bien appris pendant l’année. Mais est-il encore pertinent de bien apprendre ? La grande crainte que les étudiants trouvent les réponses sur internet devrait être un objectif, pour mieux les former et les évaluer à exploiter les données.
Ca donne à voir se développer les examens à distance
Outre la coupe du monde de football, le bac et autres examens battent leur plein. Si cet examen n’a pas encore changé, d’autres ont dû évoluer par nécessité. Parfois, malheur est bon et les grèves des universités du printemps ont fait bouger les choses. Pas forcément dans le sens prévu par les grévistes, dont la revendication inconsciente ressemblait à l’envie de s’inscrire à leur tour dans les grandes luttes sociales menées par leurs aînés. On a ainsi pu voir des étudiants de Sciences Po demander la fin de la sélection, ce qui faisait cruellement penser à une amicale de bouchers défilant au coeur d’un cortège vegan.
Quant à la revendication consciente, elle débouchait de plus en plus sur « donnez nous le diplôme sans qu’on ait d’évaluation » ce qui, pour des gens qui voulaient faire la révolution et mettre à terre les marqueurs d’un système dépassé, manquait quand même un peu de souffle. Voir également la critique de Raphaël Enthoven sur le sujet.
On ne pouvait pas en vouloir aux jeunes d’avoir essayé, d’autres célébrés depuis l’avaient fait avant, même si on pouvait se demander finalement si les grèves contre la sélection n’avaient pas comme but ultime d’en arriver plutôt à cette revendication-là. Là où c’est plus gênant, c’est que des profs aient relayé cette revendication : « A Paris-8, bloquée depuis un mois, les enseignants de certains départements prônent "la validation universelle" (note identique pour tous, supérieure à la moyenne). Eric Lecerf, directeur du département de philosophie, a déclaré lors d'une AG qu'il l'appliquerait. » (Le Point du 6 mai 2018) La philosophie demande de s’extraire du monde ; ne faut-il pas y retourner ne serait-ce que de temps en temps ? Vous avez 4 heures.
Mais je digresse et au-delà de ces bons souvenirs qu’ils se sont créés, tous ces jeunes et leurs professeurs ont fait avancer le concept de l’évaluation et au-delà, de l’enseignement et c’est ça qui nous intéresse ici.
Car pendant que les facs étaient physiquement bloquées, il fallait trouver des solutions pour faire passer les examens. Des initiatives innovantes ont été prises, et face à la situation, ce qui était impossible ou compliqué hier est devenu possible. Plus d’oraux, dossiers à la maison, épreuves en ligne… La distance est devenue un problème secondaire. Même si des problèmes logistiques demeurent, dont l’accès et la qualité de la liaison internet, sans compter le niveau de performance de l’application logicielle support de l’examen.
Ca donne à évaluer les risques de l’examen à distance
Forcément, il y a des risques. Qu’est-ce qui garantit que c’est bien le candidat qui est derrière l’ordinateur, chez lui, à faire l’examen ? Pas grand-chose.
Ainsi, on peut imaginer que le candidat se fasse aider, ou remplacer, par une relation théoriquement plus calée ou quelqu’un qui se fera payer pour faire l’examen. Ceci dit, dans ce rayon, on peut avoir des surprises.
J’ai ma fille a ainsi eu une note disons moyenne en cours d’éducation civique dans la réalisation d’une affiche. Motif : il n’y avait pas assez de texte sur l’affiche ! Non mais sérieux, c’est pas possible ! 1ère réaction à vite canaliser. Gardons notre calme. Bon, pas facile d’expliquer à ma progéniture que ce que je lui avais donné comme conseils était fondé sans saper l’autorité de sa professeure, tout en pensant secrètement que celle-ci est sans doute plus apte à juger l’histoire-géo que les affiches, que moins on met de texte sur une affiche pour laisser parler le visuel, mieux c’est, que la communication c’est un vrai métier et qu’il vaut peut-être mieux qu’elle donne des interros comme dans le temps...
Non, au-delà de ce type de ratés, forçons-nous à croire que c’est bien de partir sur de nouveaux supports et de laisser de l’initiative aux profs. J’ai finalement renoncé à demander un rendez-vous à la professeure pour le lui expliquer car je crois que le corps enseignant dans son ensemble n’aime pas qu’on vienne lui enseigner, comme on déteste en mairie avoir des comptables en retraite nous expliquer qu’on ne gère pas bien ou des ingénieurs du temps libre nous expliquer qu’il ne faut pas faire la route comme ça. Même si parfois ils ont raison, mais on ne peut pas le leur dire, alors je crois que la professeure aurait fait pareil...
Donc effectivement, on n’a peu de garanties que c’est bien le candidat qui a composé. Et c’est quand même gênant, car au-delà d’un niveau d’études, un diplôme est caractérisé par l’établissement qui le délivre. Et si les diplômés qui sont recrutés par des entreprises n’ont pas réellement le niveau affiché, c’est l’établissement concerné qui va perdre en image de marque, et ses diplômes en valeur… et les recrutés futurs sortant de cette formation seront moins payés à l’embauche !
Donc, au-delà de l’honnêteté qu’on est en droit d’attendre mais dont on peut douter, pour les générations à suivre, il est de la responsabilité des étudiants de respecter leur examen en s’y présentant eux-mêmes.
Ca donne à revoir la finalité des examens et le contenu des études
C’est d’ailleurs la responsabilité individuelle qui guide les formations à distance, en règle générale en formation continue. Certes, l’apprenant pourrait déléguer quelqu’un pour le faire à sa place. Il faut déjà trouver la bonne personne, disponible, etc. Mais surtout, si la personne obtient son diplôme frauduleusement, la vraie punition, ce sera quand elle sera en situation professionnelle et qu’elle sera démunie par rapport à son manque de connaissances.
Ca devrait être une évidence, mais elle est passée au 2d plan parce qu’on dit aux enfants : « travaille bien à l’école pour avoir des bonnes notes et pour avoir ton diplôme ». Mais le principe c’est plutôt « travaille bien pour acquérir des connaissances que tu pourras utiliser plus tard dans ta vie et dans ton métier ».
Ce à quoi les enfants répondent : « pourquoi apprendre ça puisque je peux le trouver sur internet ? » Certains un peu plus éveillés allant jusqu’à « de toute façon on va m’implanter une puce qui sera chargée de toutes ces connaissances... »
Plus jeune, je rêvais sur les épisodes d’Inspecteur Gadget parce que le chien Finot avait une montre connectée et Sophie un ordinateur portable connecté lui aussi (même si on ne savait pas à quoi). J’espérais avoir les mêmes, qui n’existaient pas encore. Aujourd’hui on y est. Plus besoin d’apprendre le jour exact de telle bataille. Il importe plus de comprendre comment cette bataille, cette année-là, dans tel contexte, a modifié l’équilibre politico-géographico-économique de l’époque. Bref, encourager la réflexion plutôt que la donnée. Ainsi, Jean-Marc Daniel ressort du livre Disruption, de Stéphane Mallard, dans l’Express du 20 juin 2018, que « le bagage académique est appelé à jouer un rôle de moins en moins important, d’abord parce que son contenu ne cesse de se réduire, ensuite parce que l’imagination qui porte l’innovation, même si elle se nourrit d’expériences et de références, ne repose que partiellement sur un savoir transmis. » Les études et leur évaluation devront mieux préparer à « un monde où les robots assurent le travail parcellisé et où les hommes se concentrent sur des tâches demandant créativité, réactivité et souplesse. »
Ainsi, si on évalue plus les compétences que les connaissances, on pourra aussi échapper à l’écueil d’une évaluation à distance biaisée par le fait que les étudiants puissent trouver toutes les réponses sur internet. Ou alors justement, en faire l’objet de l’évaluation, car demain, il ne s’agira plus d’avoir les réponses, mais de savoir comment les trouver, comment les interpréter et quoi en faire.