Moins de budget : plus d'innovation… ou moins de prestations ?
Moins de moyens ne signifie pas moins de résultats ! Au contraire même quand l'imagination et la créativité prennent le relais, se saisissant de l'excuse des restrictions budgétaires pour proposer de repenser les façons de faire. Mais les réductions vertueuses ne vont qu'un temps. La gravité reprend rapidement ses droits et au bout d'un moment, il faut se résoudre à dégrader le service apporté. Les Français sont-ils prêts à cela ?
Ca donne à lier réductions budgétaires et capacités d'innovation
Annoncée depuis plusieurs années, la contribution des collectivités locales au redressement des comptes de l’État est maintenant effective : les budgets des communes sont fortement impactés par les réduction de la dotation globale de fonctionnement et autres compensations qui ne sont plus compensées. Ce tour de vis se conjugue malheureusement avec une réduction des ressources propres. Bref, c'est la crise, dans le sens où il ne s'agit pas d'une difficulté passagère mais d'un véritable changement de la situation. Ainsi, on ne peut plus se contenter de gratter à la marge sur un peu toutes les lignes, d'enlever le gras. Ca, on l'a déjà fait les années passées (phase 1).
Il faut donc penser autrement. Et même si c'est contraint et forcé, cela peut avoir des effets bénéfiques. En effet, comme présenté dans une précédente chronique « merci la crise », la recherche d'économies renforce l'innovation. C'est l'effet paradoxal de la réduction des ressources tant qu'elle est suffisamment forte pour inciter à se repenser, mais pas trop pour conserver les moyens d'investir sur des nouveaux process ou outils permettant de générer des économies visant à fournir la même qualité de service. C'est la phase 2, la phase vertueuse de la réduction des ressources.
Formidable ! Comment les cadres n'y ont-ils pas pensé plus vite : il suffirait de réduire les moyens pour générer de l'innovation ! Et de plus en plus, progressivement, jusqu'à l'innovation parfaite, lorsqu'on n'a plus de budget !
Eh bien non, il n'y a rien d'automatique et surtout, le génie humain n'est pas extensible à l'infini. Il faut un minimum de moyens, évidemment. Il faut donc au préalable, tant qu'il en reste, insuffler l'envie de se remettre en cause et bien faire partager la prise de conscience qu'on se situe dans cette phase 2. Et pousser à agir. Car la tendance générale sera de se considérer soit dans la phase 1, soit dans la phase 3, plus confortables.
Justement, quelle est-elle cette phase 3 ? C'est celle où la réduction des moyens est telle que, quelle que soit la bonne volonté et l'imagination des agents, les ressources disponibles ne sont plus suffisantes pour garantir la qualité, voire la pérennité des services.
C'est ce qui est résumé dans le graphique ci-joint, à ressortir à votre élu ou directeur préféré quand approche selon vous le moment m, celui où les ressources minimales ne semblent plus assurées.
Pour rendre ce processus plus concret, prenons l'exemple de l'éclairage public. Considérons que l'enveloppe financière qui lui est consacrée pour une commune est progressivement diminuée.
- La première année, on réduit les stocks dormants d'ampoules, on diminue insensiblement la puissance des lampadaires, on négocie plus avec les fournisseurs : le service n'est pas touché.
- La deuxième année, phase 2 : on repense le service, on mobilise un budget d'investissement pour faire des économies les années suivantes en remplaçant les ampoules par des éclairages à économies d'énergie.
- Mais la troisième année, si on a raté la phase 2 et rien fait l'année précédente, on n'a plus les moyens de changer les ampoules : on en vient à réduire la durée d'éclairage et/ou à diminuer les zones éclairées.
Appliqué à la communication, ça pourrait donner :
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Phase 1 : fin du recours aux pigistes et photographes externes, les stagiaires vont faire les photos.
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Phase 2 : le magazine n'est plus imprimé, il est diffusé seulement sur internet (simple supposition…)
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Phase 3 : on supprime la licence de la suite Adobe...
D'où l'importance pour les collectivités d'anticiper la phase 2 et de savoir saisir leur chance… s'il est encore temps !
Mais les administrés, après tout premiers intéressés ? Sont-ils prêts à épauler cette recherche d'innovation ou se résignent-ils à la diminution des services publics ?
Ca donne à penser que les Français croient dans l'innovation des services publics
Selon le baromètre des services publics Delouvrier, réalisé en décembre 2014 par TNS Sofrès et cité par La Gazette des communes du 18 mai 2015, 59 % des Français considèrent qu'il serait possible de réaliser des économies importantes sans diminuer la qualité des services proposés.
Ils placent l'amélioration de l'efficacité des services publics à la première place, à 61 %, parmi les pistes de réduction des dépenses publiques prioritaires.
Des marges de manœuvres existent pour les usagers dans la fiscalité à 78 %, la sécurité sociale à 76 %, l'environnement à 71 % et l'emploi à 65 %.
A l'inverse, ils n'en voient pas pour 52 % d'entre eux concernant l'éducation nationale et plus encore, à 66 %, pour la police.
Le déploiement du numérique est pour eux une véritable opportunité dans la recherche d'efficacité. Ainsi, « utiliser plus internet » est une piste de réduction des dépenses prioritaires pour 35 % des Français.
Internet est ainsi devenu le canal de mise en relation prioritaire des administrés concernant la sécurité sociale, le logement, la fiscalité et plus récemment les questions d'environnement.
En effet, les fonctionnalité d'internet semblent en mesure de répondre aux attentes de progrès exprimées par les usagers :
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la rapidité de traitement des dossiers et de réponses aux demandes pour 56 % d'entre eux,
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la simplicité des démarches pour 55 %,
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la diminution du coût des services pour 44 %,
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une meilleure égalité de traitement des citoyens selon leur situation sociale et territoriale pour 40 %,
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l'augmentation du nombre de démarches qu'on peut faire par internet pour 28 %.
Est-ce que cette rationalisation ira dans le sens des attentes plus faiblement exprimées, telles que :
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la possibilité de les joindre plus facilement et plus souvent pour 26 %,
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la prise en compte des remarques et des suggestions des usagers pour 25 %,
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et le suivi personnalisé des usagers, pour 19 %,
autant d'attentes qui devraient générer des coûts supplémentaires… à moins d'innover en la matière ?
Selon l'Institut Delouvrier, « la transition numérique est à la fois un facilitateur de mise en relation avec les servies publics pour les usagers et une source potentielle d'économies ».
Ca donne à imaginer que les administrés acceptent une réduction de la qualité des services publics
Malheureusement, la phase 2 est peut-être déjà derrière nous, et les Français semblent s'y résigner. 65 % d'entre eux veulent « diminuer le niveau des impôts et prélèvements, quitte à réduire les prestations fournies », la part de ceux étant prêts à payer plus pour améliorer les prestations fournies par les services publics étant devenue minoritaire depuis 2013.
Les pistes d'économies font une large place à cette décroissance publique :
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54 % placent parmi les pistes de réduction des dépenses publiques prioritaires la diminution du montant de certaines aides,
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41 % la réduction des dépenses d'équipement et d'infrastructures,
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37 % supprimeraient carrément certains services fournis par l'Etat,
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27 % délégueraient certaines prestations au secteur privé ou aux associations
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et 20 % feraient payer plus certaines prestations.
A noter que seuls 4 % réduiraient prioritairement salaires et avantages des fonctionnaires et 2 % seulement en réduiraient le nombre.
Ce qui semblait un tabou semble sur le point de tomber. Alors qu'il y a quelques années, il s'agissait d'économiser, il apparaît que les Français sont prêts à revoir le contenu des services qui leur sont apportés.
Cependant, relativisons la généralisation de ce sondage qui porte sur les services de l’État.
Peut-on réellement faire le transfert sur les services publics locaux ? Les administrés auront-ils le même recul face aux prestations du quotidien ? Les élus seront-ils prêts à produire un bilan marqué par la réduction des prestations proposées par les collectivités, rompant en cela avec une trentaine d'années d'empilement de prestations nouvelles sur des prestations anciennes, certaines de ces dernières conservées au motif qu' « on ne peut pas les supprimer » ?
Les Français semblent appeler de leurs voeux des services publics différents de ceux d'aujourd'hui, optimisés grâce aux usages numériques. Il seraient même prêts à voir ces services dégradés… Enfin, c'est du déclaratif : il y a fort à parier que l'annonce de suppression de services qui les touchent personnellement trouvent en écho un accueil nettement moins favorable voire même indigné !
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